Au cours des deux dernières décennies, Copenhague a transformé l'intégration en un contrat individuel, où l'accès à une résidence durable et à la citoyenneté dépend de l'emploi, de la connaissance de la langue et de la conformité civique. Selon l'analyse réalisée par Lucie Tungul, chercheuse au Wilfried Martens Centre for European Studies, cette approche représente « un compromis politique entre cohésion sociale et ouverture libérale, où l'intégration devient une responsabilité individuelle, non une inclusion collective ».
Les réformes successives, allant de la limitation du regroupement familial à la réduction des prestations sociales, ont stabilisé le consensus politique interne et ont réduit le soutien à l'extrême droite, mais ont également produit des effets sociaux ambigus.
Le Danemark a redéfini le concept d'intégration, le transformant d'une responsabilité collective en une obligation personnelle. Depuis 2010, l'accès à la résidence permanente et, par la suite, à la citoyenneté a été conditionné par la preuve d'une « intégration réussie », mesurée par la participation active à la société, la connaissance de la langue et l'engagement dans le travail. Chaque migrant signe un contrat individuel d'intégration, par lequel il s'engage à atteindre des objectifs concrets, surveillés par la municipalité. L'évaluation se fait par un système de points et des tests de « citoyenneté active », qui incluent non seulement les compétences linguistiques et professionnelles, mais aussi le respect des valeurs civiques danoises — la démocratie, l'égalité des sexes, la liberté d'expression et la tolérance religieuse.
En même temps, les réformes adoptées après 2001 ont directement lié les droits au travail et à l'autosuffisance, réduisant considérablement l'assistance sociale pour les migrants non-UE. Avec le soi-disant « changement de paradigme » de 2019, l'accent a été mis sur le retour volontaire plutôt que sur l'intégration à long terme : le statut de réfugié est devenu temporaire, et les prestations sociales se sont transformées en « aide à l'autosuffisance ou au rapatriement », allant jusqu'à 5 400 euros. Ceux qui refusent de retourner sont placés dans des centres spéciaux, sans soutien financier. Beaucoup de ces mesures sont possibles grâce à l'opt-out du Danemark de la politique commune de l'UE en matière d'asile, ce qui confère au gouvernement une marge de manœuvre unique en Europe, mais aussi une responsabilité accrue vis-à-vis du droit européen.
Selon les données citées par Tungul, au 1er janvier 2024, les immigrants et leurs descendants représentaient 16 % de la population, dont 10 % provenaient de pays non occidentaux et 6 % d'États occidentaux. Les Roumains forment environ 5 % du total des immigrants et descendants au Danemark, après la Turquie et la Pologne. Le taux d'emploi pour les groupes MENAP et la Turquie est de 60 %, tandis que pour les autres non occidentaux, il atteint 71 %. Les femmes de ces groupes ont un taux d'emploi de seulement 53 %, mais la génération née au Danemark atteint 73 %, signe d'une intégration lente, mais réelle.
Entre 1986 et 2016, la loi sur l'immigration a été modifiée 118 fois, une fréquence sans précédent en Europe, qui montre un processus législatif permanent adapté à la pression politique et sociale.
Lucie Tungul montre que l'approche danoise a réussi à réduire le soutien aux partis radicaux par l'adoption par les principales forces politiques d'une ligne restrictive commune. Les sociaux-démocrates ont même continué à renforcer la législation, avec une vision déclarée de « zéro demande d'asile ». Cependant, la chercheuse souligne les coûts : « une intégration basée sur la dissuasion peut produire une adaptation sans appartenance, une participation économique sans sentiment d'inclusion civique ». Des différences significatives persistent en matière d'emploi, d'éducation et de mobilité sociale entre les Danois et les immigrants non occidentaux, et l'insécurité juridique des réfugiés temporaires alimente un sentiment de précarité.
La politique de dispersion territoriale a été considérée comme un succès administratif, mais n'a pas empêché l'apparition de zones à forte concentration de migrants non occidentaux, ce qui a conduit à l'adoption de la loi initialement connue sous le nom de « loi sur les ghettos ». Dans sa forme actuelle, renommée « loi sur les sociétés parallèles », les normes sont examinées par la Cour de justice de l'Union européenne pour possible discrimination fondée sur l'origine ethnique. Tungul note que « les mesures peuvent entrer en conflit avec les principes fondamentaux du droit de l'UE, en particulier en ce qui concerne l'évaluation de l'habitat et de la mixité sociale », une question qui pourrait avoir des conséquences pour les politiques urbaines dans d'autres États membres.
Le modèle danois offre, selon l'auteure, une double leçon : une administration efficace, la décentralisation vers les municipalités et l'accent mis sur le travail sont des éléments reproductibles ; cependant, une intégration construite sur la dissuasion et la conditionnalité peut générer des effets d'exclusion à long terme. « Le succès politique du Danemark est indéniable, mais il reste à voir si ce modèle assure une société cohésive et durable », écrit Tungul en conclusion.
La communauté roumaine au Danemark, estimée à environ 5 % du total des immigrants, se distingue par un profil principalement économique et intégré, basé sur le travail et la mobilité professionnelle. Contrairement aux groupes non occidentaux visés par les mesures restrictives, la majorité des Roumains se trouvent dans des secteurs tels que la construction, la logistique, l'agriculture et les services, contribuant directement à l'économie danoise et bénéficiant de la liberté de circulation garantie par le statut de citoyens de l'UE. Cette orientation vers l'autosuffisance les place dans une catégorie perçue favorablement par les autorités locales, qui appliquent une approche administrative différente de celle destinée aux réfugiés ou aux migrants extra-européens.